Vésuve et environs...
La tragédie de Pompéi.


Le Vésuve a fait son entrée dans l’histoire des hommes en 79 après. J.-C. À cette époque, l’empire romain est prospère, et le golfe de Naples est l’une des plus riches provinces de l’Empire. Des villes comme Pompéi, Herculanum se sont installées au pied du Vésuve, dans un site apparemment enchanteur. Le 24 août 79, après un long sommeil de plusieurs siècles, le Vésuve se réveille et, en quelques heures, il recouvre Pompéi d’un linceul de pierres ponces et enrobe Herculanum de coulées de boue.

LA VILLE ÉTAIT PROSPÈRE

Nous sommes à Pompéi, un matin d'août 79 de notre ère. Le temps s'écoule paisiblement dans cette ville située au pied du Vésuve. Pompéi est une assez grande ville de vingt à vingt cinq milles habitants dont l'activité est intense : située près de l'embouchure de la vallée du Sarno, elle sert de débouché à l'arrière pays campanien. Ses rues, dont le dallage présente des ornières profondes, attestant un trafic important, sont bordées d'auberges, de boutiques, d'ateliers et nombreuses sont les maisons appartenant à une bourgeoisie enrichie et même parvenue. Nous sommes dans une région très fertile, à la population regroupée dans d'importantes agglomérations ou répartie dans les nombreuses fermes, métairies et parcelles cultivées, qui constellent le territoire et dispensent les produits de la terre, tandis que le long de la côte se pressent des villas de grand luxe, apanage de la riche aristocratie romaine.

Fresque de Pompéi

Midi était passé depuis un moment et la chaleur estivale commençait à inciter les habitants à délaisser leurs activités et à aller se restaurer dans un des nombreux thermopolia , avant de se rendre aux thermes pour y goûter après les fatigues de la journée la détente d'un bon bain. Mais soudain, un puissant grondement fit lever tous les regards vers le Vésuve, la montagne qui étendait sur la cité son ombre protectrice se déployant depuis toujours derrière les colonnades du forum et du temple de Jupiter Capitolin en toile de fond du paisible paysage pompéien. Cette fois-là pourtant, les yeux ne se tournèrent pas vers les vignobles qui montaient presque jusqu'au cratère et produisaient ce Vesuvinum si renommé. Le Vésuve que, dans la maison du Centenaire, un homme avait représenté à coté d'une aimable allégorie de Bacchus, sous la forme d'une gigantesque grappe de raisin, se révélait brutalement aux habitants incrédules dans sa véritable nature de volcan prêt à accomplir son oeuvre d'extermination.

DES SIGNES PRÉCURSEURS

Lorsqu'une éruption volcanique est imminente, un signe précurseur habituel est l'augmentation des séismes produits par la remontée de la lave qui se fraie un chemin vers la surface. Un second signe est l'activité accrue des fumerolles.

Fumerolles aux Solfatares.

(Photo Francis Sibille)

Ces deux signes semblent avoir été observés pour le Vésuve. En effet, 17 ans avant l'éruption, le 5 février 62 de notre ère, un fort tremblement de Terre (de magnitude estimée à 5 d'après les dégâts) causa des dommages importants à Pompéi et à Herculanum. Sénèque rapporte également qu'après ce tremblement de Terre, de nombreux moutons périrent aux alentours du Vésuve suite à des émanations de gaz toxiques.

La cité sut trouver la force de réagir, et une imposante volonté de reconstruction, tant des habitations privées que des édifices publics, la transforma pour de nombreuses années en un immense chantier. Faisant preuve d'une extraordinaire énergie, les citadins firent réaliser à cette occasion des bâtiments nouveaux, comme les grandioses thermes centraux qui occupaient tout un pâté de maisons au croisement de la via Stabiana et de la via di Nola et comme le temple des Lares Publici. Certes le pouvoir central soutint les efforts de reconstruction des Pompéiens : d'abord Néron, que nous trouvons fréquemment glorifié dans des inscriptions aux cotés de sa femme Popée, originaire de Pompéi, puis l'empereur Vespassien, auquel un temple de forum était dédié.

Maquette de Pompéi,
Musée de Naples.

(photo Francis Sibille)

Enfin, il semble également que le gonflement du volcan ait été enregistré par une baisse relative du niveau de la mer dans la région.

Toutefois, 17 ans est un délai très long. Quelques 17 ans plus tard, le 20 août 79, de nouveaux séismes secouent la région avec une fréquence et une intensité croissante, qui empêchent les Pompéiens de mener leurs projets de reconstruction à terme, jusqu'au 24 août, indiquant la remontée finale de la lave. On note également le tarissement de nombreuses sources autour du volcan, par fermeture de fissures associée à la dilatation du volcan.  Ces signes seraient aujourd'hui immédiatement suivis de l'évacuation de la population, mais à l'époque aucun lien ne fut fait entre une éruption du Vésuve et l'activité tellurique.

LA PHASE PHRÉATOMAGMATIQUE

Ce sont les dépôts accumulés sur le sol qui nous racontent l'histoire de l'éruption. La première phase de l'éruption correspond au premier lit de fragments et de cendres déposés sur le paléosol. Ce dépôt est limité aux flans du volcan et à l'est du Vésuve. Ce dépôt est mal trié (les cendres et les ponces de toute taille sont mélangées) et les fragments qui le forment sont plutôt fins, que l'on soit proche du centre éruptif ou que l'on s'en éloigne. De plus, on peut trouver des fragments en forme de gouttelettes, ou lapilli, au sein de ce dépôt.

Ces observations sont typiques d'un épisode phréatomagmatique, ou la lave explose au contact de l'eau d'infiltration. On peut imaginer qu'il correspond donc à la dernière phase de l'ascension de la lave qui rencontre l'eau stockée dans le sous-sol. L'explosion résultante "débouche" le conduit, et ouvre la voie aux phases suivantes.

Vision d'ensemble des dépôts de l'éruption de 79, à Terzino.
Le sujet à la main posée sur le paléosol, dans la trace laissée par un tronc d'arbre. Le premier lit, marron clair, fait environ cinq centimètres d'épaisseur et correspond à l'épisode phréatomagmatique par lequel débute l'éruption

Comme ce dépôt est assez fin et assez peu étendu, il correspond à une petite explosion du volcan. Il est donc possible qu'il fut à peine noté par les habitants de Pompéi et Herculanum.

Herculanum. Photo Dominique Decobecq
Herculanum (photo Decobecq)

Ceux-ci n'ont vu qu'un nuage noir et n'ont entendu que le son d'une explosion qu'ils ont interprété comme de l'orage au-dessus du volcan. Par contre, les villas sur les flans du volcan ont reçu des cendres. A l'une de ces villas, Rustica, le dépôt devant la porte ne montre pas de traces de pas des habitants, ce qui laisse penser que ce dépôt à eu lieu très peu de temps avant la phase principale de l'éruption qui allait tout recouvrir le matin du 24 août avant même que les habitants ne soient sortis. On peut donc postuler que le début de l'activité du Vésuve a eu lieu dans la nuit du 23 au 24 août, n'alarmant que les habitants au sommeil léger.

LA PHASE PLINIENNE

Le second dépôt que l'on peut identifier est bien plus épais que le précédent et montre des caractéristiques assez différentes. Il est trié, c'est-à-dire que les gros fragments sont majoritaires à la base des lits alors que les cendres le sont au sommet. De plus, la taille moyenne des particules dans le dépôt diminue en fonction de l'éloignement à la bouche volcanique (l'épaisseur maximale est cependant atteinte 10 km avant le conduit lui-même). On note également que le dépôt n'est pas symétrique autour du volcan, mais montre un allongement très net dans la direction sud-est, ce qui traduit l'effet des vents dominants dans l'atmosphère. Ce dépôt a, notamment à Pompéi, entraîné l'effondrement du toit de certaines maisons, mais sans les déplacer, ce qui indique une mise en place verticale, en pluie, et non pas horizontale, en coulée. Ces caractéristiques sont typiques de dépôts sédimentaires, et ici d'une sédimentation aérienne, fall-out en anglais. Ce dépôt correspond à une pluie de cendres et de ponces depuis le panache volcanique.

Dépôts Pliniens clairs et foncés de l'éruption de 79 près de Stabiae.
On note l'évolution de la couleur des dépôts qui correspond au changement de la composition chimique des laves. La stratification horizontale indique une mise en place sous forme de pluie de ponces.

On note également une évolution progressive de la couleur des ponces qui passe de blanc au milieu du dépôt à gris au sommet. Cette évolution correspond à des laves de chimie différente remontées progressivement du fond de la chambre magmatique (les ponces blanches sont relativement plus riches en silicium, elles sont plus différenciées, alors que les ponces grises sont moins riches en silicium, plus basiques, c'est-à-dire plus proche du matériel issu de la fusion). Les ponces grises sont plus riches en fer et en magnésium, elles sont donc plus denses, ce qui explique pourquoi elles devaient être au fond de la chambre magmatique et donc ont été échantillonnées plus tard dans l'éruption. On remarque également que l'allongement des dépôts change légèrement entre les ponces grises et blanches, ce qui correspond à un changement de la direction des vents dominants.

Épaisseur des dépôts Pliniens, en centimètres.
Les courbes rouges correspondent aux ponces claires, les courbes bleues aux ponces foncées. Les dépôts se sont faits dans le sens du vent dominant, lors de l'éruption. ils forment des ellipsoïdes. on note un léger changement de la direction du vent entre les deux épisodes.

Ce sont Pline l'ancien (le scientifique) et son neveu Pline le jeune(le lettré) qui fournissent le témoignage principal sur cette phase de l'éruption.

Le matin du 24 août Pline l'ancien avait été alerté d'une activité inhabituelle du volcan. Pline l'ancien se préparait à quitter Misénia pour rejoindre Stabiae lorsqu'il fut témoin de la pluie de fragments. On voyait alors depuis Misenia le panache éruptif qui a été décrit en détail par Pline et que l'on appelle aujourd'hui un panache Plinien ; la pluie de fragments définissant la phase dite Plinienne de l'éruption. Le panache formait une sorte de champignon s'écrasant dans la haute atmosphère et lâchant une pluie de cendres et de fragments sur les environs du volcan.

Le cratère du Vésuve, la Somma, décrite par Teodoro Monticelli (1823). Photo Dominique Decobecq
Le cratère du Vésuve, la Somma, décrite par Teodoro Montic. Photo Decobecq

Pline prit alors le large avec une petite flotte de trières pour une mission de secours, mais il fut incapable d'accoster sur la côte ouest du Vésuve en raison de la présence de radeaux de ponces qui encombraient les flots (en effet, les pierres ponces flottent souvent sur l'eau en raison des nombreuses vésicules de gaz qu'elles contiennent, et qui diminuent leur densité).

Schématisation du panache Plinien
et des dépôts associés

Il fit alors voile vers Stabiae qu'il dut atteindre vers 7 heures. Stabiae était alors sous une pluie légère de cendres qui ne provoquait pas de panique dans la population. Pendant la nuit, la pluie de cendres et surtout de ponces continua, et de nombreux séismes se produisirent, qui poussèrent les habitants à passer la nuit dehors en se protégeant tant bien que mal des chutes de ponces qui commençaient à atteindre une épaisseur suffisante pour obstruer les portes. Le matin du 25 août, aux environs de 6 heures, les habitants de Stabiae furent témoins d'une manifestation du Vésuve assez forte pour les faire fuire en panique, en dépit des vents contraires qui gênaient la fuite par les eaux. Après avoir supporté 18 heures de pluie de cendres, leur réaction indique que cette nouvelle activité devait être plutôt terrifiante. Le pic d'intensité des tremblements de Terre est d'ailleurs atteint le matin du 25, avec même la formation de tsunami décrits par Pline l'ancien.

Gravure couleur du Petit Journal. fuite devant l'éruption du Vésuve. Photo Dominique Decobecq
Gravure couleur du Petit Journal. fuite devant l'éruption du Vésuve.
( Photo Dominique Decobecq)

LES NUÉES ARDENTES

Au-dessus des dépôts Pliniens, on trouve des dépôts beaucoup plus hétérogènes, presque chaotiques, souvent très épais, et qui ne sont pas répartis de façon régulière autour du volcan. Ces dépôts ressemblent à des dépôts de chenaux, montrent des loupes et des petites dunes en base de coulées, semblables à celles qui sont produites par les écoulements marins.

Dépôt chaotique formé par les nués ardentes à Pozelle au sud du Vésuve. 

On y trouve des blocs de lave de plus de 3 m de diamètre ainsi que des blocs de calcaire arrachés par l'avalanche.

 


Figures de chenaux dans un dépôt de nuée ardente à grains fins. La règle mesure 1 m.

Ils suivent la topographie, sont plutôt fins sur les reliefs et très épais dans les vallées. Les dépôts contiennent souvent des bouts de toit ou de murs, des morceaux d'arbre calcinés et parfois même des restes humains qui ont été transportés dans l'écoulement. Ces dépôts ressemblent donc plus à des dépôts d'avalanche qu'à une pluie de cendres. Il est alors naturel d'associer ces dépôts à des avalanches naissant du panache volcanique et dévalant les pentes du volcan. En accord avec une mise en place sous forme d'avalanches, on rencontre d'ailleurs des dépôts très important devant les murs des cités contre lesquels ils se sont accumulés avant de les effondrer.

Mécanismes de mise en place de nuées ardentes

On appelle ces avalanches des nuées ardentes. Dans les dépôts de l'éruption de 79, on peut compter jusqu'à six avalanches. La quatrième fut la plus forte et frappa Pompéi de plein fouet.

Épaisseur totale moyenne
des dépôts de nuée ardente (en m).

En rouge sont figurées les zones principales
de mise en place.

Dans la ville d'Herculanum, c'est plus de 20 m de dépôt que l'on trouve, la ville ayant été affectée par quasiment l'ensemble des nuées ardentes en raison de sa proximité avec le volcan. De plus, il semble que les avalanches qui ont enseveli la ville aient été particulièrement chaudes comme le prouve la transformation de tout le bois de la ville en charbon, à une température de plus de 400 degrés.

Pline l'ancien n'a pas témoigné sur les nuées ardentes car elles l'ont tué, ainsi que les habitants qui n'avaient pas fui sous la pluie de ponces. Par contre, Pline le jeune a laissé des lettres décrivant les manifestations du volcan observées à distance raisonnable.

A Stabiae, les habitants furent envahis par des odeurs de souffre et une pluie de feu (des bombes volcaniques explosant en touchant le sol) alors que l'avalanche promettait d'atteindre la ville, provoquant la fuite éperdue des habitants. A Misenum, protégée par la direction des vents, la ville avait été épargnée par les chutes de ponces de la phase Plinienne précédente. Par contre, les séismes dus à l'éruption furent ressentis avec une intensité de plus en plus forte au cours des 24 et 25 août. Les objets furent complètement renversés et les chars, même bloqués par des pierres, furent déplacés lors des tremblements de terre. Le 25, peu de temps après les plus violents séismes, Misenum fut témoin de la première nuée ardente, formant un noir nuage traversé d'éclairs d'électricité statique et descendant vers la mer.

Les nuées vont se succéder, emportant d'abord Pompéi puis Herculanum. On pense que seulement un dixième de la population fut tué par les nuées car de nombreux habitants avaient fui pendant la phase Plinienne. Pline le jeune eut la chance de s'enfuir assez tôt pour se trouver à la périphérie de la zone détruite par les avalanches ; Pline l'ancien n'eut pas cette chance et mourut d'avoir voulu observer l'éruption de trop près.

CE QUE RÉVÈLENT LES FOUILLES

Sur les corps des Pompéiens se déposa une pluie de cendres incandescentes qui colla à leur peau, à leurs vêtements, comme un gant très fin, moulant chacun de leurs traits, l'expression de leurs visages. Refroidies et durcies, les cendres constituèrent bientôt une masse compacte et solide qui garda à l'intérieur les empreintes des corps qui, suivant le processus normal de décomposition des matières organiques, ne laissèrent bientôt plus dans la couche de cinérite que des cavités.

Dans le musée créé au XVIII siècle à Portici, dans la banlieue de Naples, par les Bourbons, organisateurs des premières fouilles officielles dans la région du Vésuve, était exposé dans une vitrine un morceau de cinérite qui, comme la matrice d'un moulage, conservait l'empreinte parfaite du sein d'une adolescente. Ce sein suscita l'émerveillement et l'émotion de Madame de Staël et inspira à Théophile Gautier la nouvelle Arria Marcella.
L'archéologue Giuseppe Fiorelli, qui par sa méthode donna une impulsion scientifique décisive aux fouilles de Pompéi dans la seconde moitié du XIX siècle, eut l'idée d'injecter du plâtre liquide dans les cavités dont on avait pu déceler la présence. Ainsi, on vit surgir comme par enchantement les visages effrayés des victimes de l' éruption, les souffrances lancinantes du chien attaché à sa chaîne, essayant en vain de se soustraire à un destin cruel, les corps des fuyards, hommes, femmes, enfants, qui cherchaient désespérément une issue, saisis par la mort alors qu'ils tentaient de se protéger la bouche de leurs mains.

A Oplontis, dans les faubourgs de Pompéi, on a moulé dans de la résine une femme qui emportait avec ses bijoux et un petit sac contenant des pièces de monnaie, des bagues et des pierres précieuses. Au sud-est de la ville, on a réalisé les moulages en plâtre d'autres victimes de l'éruption : un homme, en particulier, qui semble protéger de son corps une femme enceinte. Lors des fouilles de l'insula occidentalis, une scène hallucinante fut mise à jour : une mère tendant les bras pour saisir l'enfant que le père s'efforçait de lui faire passer, avant de tomber inanimé. Rien ne peut rendre aussi intensément le caractère tragique et dramatique de cette éruption que la découverte dans les cavités formées par les cendres solidifiées des corps de petits enfants déchiquetés, en proie aux souffrances de la mort.